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La restauration de Viollet-le-Duc

Au XIXᵉ siècle, la cité médiévale de Carcassonne, alors en ruines, fait l’objet du plus important chantier de restauration d’Europe. Regardez ce lieu unique au monde retrouver toute sa splendeur sous la direction de l’architecte Viollet-le-Duc !

Une forteresse à l'abandon

Au cours du XIIIe siècle, Carcassonne se transforme en forteresse militaire. Son emplacement tactique, au cœur du Languedoc, la place en effet en première ligne face au royaume d’Aragon, rival de la France. En 1635, la guerre éclate entre Français et Espagnols pour s’achever en 1659, avec la signature du Traité des Pyrénées. Désormais, les deux pays sont en paix, et Carcassonne perd son importance stratégique. C’est le début d’un long déclin, qui voit la Cité médiévale se dépeupler au profit de la bastide Saint-Louis, sur l’autre rive de l’Aude…

Basilique Saint-Nazaire et Saint-Celse
Ancienne cathédrale

© Geoffroy Mathieu / Centre des monuments nationaux

À la rencontre de Viollet-le-Duc

Nous voici maintenant au XIXe siècle, où nous attend un personnage essentiel : Eugène Viollet-le-Duc !

Né en 1814 à Paris, cet architecte cultivé et passionné devient restaurateur en 1840. Prosper Mérimée, inspecteur général des monuments historiques, lui confie alors le chantier de la basilique de Vézelay. C’est le début d’une grande carrière ! Viollet-le Duc s’enthousiasme pour l’architecture gothique et le Moyen Âge, qui connaissent un regain d’intérêt dans le XIXe siècle romantique. Et, en 1843, c’est lui qui dirige les travaux de la cathédrale Notre-Dame de Paris ! Par la suite, il intervient sur d’autres monuments iconiques, comme le château de Pierrefonds, la basilique Saint-Denis, ou la cathédrale d'Amiens.

Mais, pour le moment, nous sommes en 1844 et il vient de recevoir une nouvelle mission, dans le sud de la France. Depuis 9 ans, un archéologue local, Jean-Pierre Cros-Mayrevieille, multiplie les études et les démarches pour démontrer la valeur historique d’une ancienne Cité et de ses fortifications. Un lieu magnifique, semble-t-il, pour lequel Mérimée a eu le coup de foudre. Vous avez deviné ? Alors, en route pour Carcassonne !

Restauration selon Viollet-le-Duc
Gargouille imaginée par Viollet-le-Duc

© Laurent Gueneau / Centre des monuments nationaux

La Cité médiévale en 1844

Rejoignons Viollet-le-Duc pour découvrir à ses côtés la Cité médiévale. Hélas, c’est un triste spectacle qui nous attend. Le château, les remparts, les tours… Tout est délabré. Pire, les murailles sont démantelées et servent de carrières de pierres aux maçons locaux ! Enfin, les lices   sont envahies d’habitations misérables, refuges des habitants les plus pauvres de la ville. La tâche s’annonce immense… 

Grâce à la ténacité de Jean-Pierre Cros-Mayrevieille, la basilique Saint-Nazaire a été classée monument historique en 1840. C’est par elle que Viollet-le-Duc commence. Il réalise une analyse minutieuse de l’édifice et s’entoure de nombreux artisans, dont des maçons et des maîtres-verriers. Les travaux se poursuivront jusqu’en 1864 !

Lices Carcassonne
Lices aménagées entre les deux enceintes

© Laurent Gueneau / Centre des monuments nationaux

Un chantier titanesque

En 1849, tandis que la réfection de la basilique progresse, le reste de la Cité médiévale est classé à son tour monument historique. Trois ans plus tard, en 1852, sa restauration commence. Viollet-le-Duc fait d’abord supprimer les maisons qui encombrent les lices. Il s’attaque ensuite à la partie de l’enceinte intérieure allant de l’extrémité occidentale jusqu’au château. Il intervient également sur les tours, qu’il fait couvrir, et sur la porte Narbonnaise. Les fortifications ne sont généralement abîmées qu’à leur sommet. Ce sont donc les parties hautes qui demandent le plus d’attention : crénelages, voûtements et toitures.

Dépendant des crédits qui lui sont alloués, le projet ne peut avancer que par tranches. Viollet-le-Duc le supervise à distance, ne se rendant qu’une fois par an sur place. Ainsi, de 1864 à 1867, le chantier se déplace vers le front sud et l’enceinte extérieure. La porte Saint-Nazaire est restaurée, de même que les tours voisines. Une nouvelle interruption, due à la guerre franco-allemande, a lieu entre 1870 et 1871. Puis, les opérations reprennent à nouveau, cette fois-ci du côté nord, avec les tours romaines, la barbacane Saint-Louis et la tour du Tréseau. Peu à peu, la cité de Carcassonne retrouve tout son éclat !

Tour du Tresau Carcassonne
La Tour du Trésau

© Patrick Cadet / Centre des monuments nationaux

Un style très personnel

Plans à l’aquarelle, croquis à la plume, examen des vestiges et des archives… Viollet-le-Duc maîtrise son sujet sur le bout des doigts ! Pourtant, ses réalisations sont loin de faire l’unanimité ! Il faut dire qu’il n’hésite pas à prendre quelques libertés avec la réalité historique… d’où des choix parfois surprenants.

« Restaurer un édifice, ce n'est pas l'entretenir, le réparer ou le refaire, c'est le rétablir dans un état complet qui peut n'avoir jamais existé à un moment donné », déclare-t-il. De quoi faire frémir d’horreur les historiens ! Mais l’architecte s’en moque : ce qu’il veut, lui, c’est restituer la Cité, telle qu’elle pouvait apparaître à la fin du XIIIe siècle. C’est pourquoi, par exemple, il fait ajouter un pont-levis à la porte Narbonnaise.

Mais l’élément le plus controversé à l’époque est sans aucun doute son traitement des toitures. En effet, il fait poser des lauzes d’ardoises, au lieu des tuiles plates typiques de la région. Ses détracteurs, comme l’historien Hippolyte Taine, crient au scandale ! Il est vrai que l’emploi de tuiles plates est mentionné dans un texte ancien évoquant Carcassonne. Toutefois, on trouve également de l’ardoise dans la Montagne Noire, à moins de 50 kilomètres de là. Ce choix n’est donc pas si étrange…

Viollet-le-Duc meurt en 1879 et Paul Boeswillwald reprend le projet de Carcassonne. Celui-ci reste le plus important mené par l’architecte, qui lui a consacré près de 50 années de sa vie ! Si, jusque dans les années 1960, ses transformations ont été critiquées, elles font aujourd’hui pleinement partie du visage de la Cité, inscrite depuis 1997 au patrimoine mondial de l’UNESCO.

À votre tour, venez arpenter ce lieu magnifique qui semble tout droit sorti d’un roman médiéval !

Porte Narbonnaise Carcassonne
La Porte Narbonnaise

© Geoffroy Mathieu /Centre des monuments nationaux

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